Le jeu prendra un développement important dans l'hypermonde. Il en constitue déjà un des marchés, il contribuera demain à en élargir les limites.
L'importance du jeu
Au cours des deux ou trois dernières années, un public de plus en plus important s'est habitué à jouer: enfants, adolescents et adultes, informaticiens ou non. Et découvre peu à peu la réalité virtuelle par la presse, dans les salons spécialisés et quelques espaces publics (en Angleterre surtout). Dans le même temps, le coût des machines et des interfaces s'abaisse. Matériels (à commencer par le micro-ordinateur courant) et logiciels progressent en efficacité, réalisme, variété et fiabilité, normalisation.
Techniquement, les logiciels permettent la construction de scénarios où s'exprimer l'imagination d'une nouvelle génération d'auteurs. Ils reprennent les héros du cinéma ou en créent de nouveau, comme Mario (chez Nintendo) et Sonic (chez Sega). Ils les font vivre dans des univers de plus en plus richement dotés d'objets complémentaires. Ils les rendent disponibles au public sous des formes diverses et complémentaires: bande vidéo des films, revues spécialisées et même gadgets matériels. Ces ensembles de produits dérivés amplifient l'aura des personnages et de leurs mondes. En retour, ces images fortes induisent une demande d'interactivité pour permettre au joueur de s'associer plus personnellement à l'aventure.
Une meilleure interactivité
Chercheurs, informaticiens et fabricants coopèrent au perfectionnement des interfaces, faisant appel si possible à tous les sens. La vue et l'ouïe restent de loin les plus sollicités, avec une sollicitation de plus en plus complète: depuis le petit écran et les sons élémentaires d'une console portative jusqu'à l'immersion intégrale du casque de réalité virtuelle, avec son espace de synthèse sur 360° aussi bien pour l'image que le son (stéréo à quatre haut-parleurs). Le toucher bénéficie des gants et combinaisons à "retour d'effort". Quant au l'odorat et a fortiori au goût, les expériences restent encore très limitées.
L'interactivité s'étend dans l'espace géographique avec la télévirtualité et dans l'espace social avec les jeux à deux ou plus.
Les principaux types de jeux en réalité virtuelle
Le jeu de combat domine actuellement. "Butte les tous" dit la communauté des joueurs. Il faut détruire les adversaires qui envahissent l'espace de plus en plus vite, de plus en plus nombreux, de plus en plus dangereux. Rapidité et précision comptent plus que tout. Comme leurs principes sont bien connus et qu'ils se peuvent se contenter de visualisation simplifiées, ils ont été les premiers à se répandre dans l'hypermonde.
Le jeu de rôles fait appel à l'imagination et à la réflexion. Très nombreux sur les micro-ordinateurs, ils accèdent aujourd'hui à la réalité virtuelle. Ainsi Legend Quest, qui se déroule dans un univers "médiéval fantastique", proche du jeu Donjons et Dragons. Chaque joueur incarne un personnage différent, et ils forment ensemble une équipe (jusqu'à quatre partenaires). Les sens sollicité sont la vue, l'ouïe et le toucher, pour mieux sentir le monstre.
La simulation inspire deux catégories de jeux bien différentes: les sports et les voyages. Les simulations de vol ou de sports comme l'automobile, de plus en plus réalistes et disposant d'un assez large marché dans les "arcades" ouvertes au public, vont très loin dans la technique (en particulier le célèbre Flight Simulator). Mais leurs scénarios ne dépassent guère le "butte les tous". Ces jeux engagent la vue, l'ouïe et l' "équilibre", surtout s'ils se pratiquent dans des cabines mobiles sur vérins.
Enfin, les véritables jeux de simulation privilégient la richesse et la complexité du modèle d'univers, du scénario, des stratégies que les joueurs doivent y déployer pour survivre, explorer le monde proposé, construire leurs entreprises, villes et royaumes. Qualité graphique et ergonomie ont parfois été sacrifiées au nombre des paramètres et la puissance des calculs. Mais la puissance des machines permet aujourd'hui d'offrir l'un et l'autre... au moins sur simple écran. Car, pour l'immersion complète avec casque et combinaison, il faudra encore longtemps aux machines pour offrir des univers de haute résolution en temps réel. Les progrès sont rapides, mais nous n'avons encore touché qu'aux rives de l'hypermonde.
Olivier Arifon
Prochaines réunions du club
Le premier mardi du mois: métaphysique (philosophie, arts, culture)
Le deuxième mardi: le marché de l'hyper (technologie, produits, réalisations)
Le troisième mardi: bureau politique (organisation des activités, plans sur la comète).
Le quatrième et cinquième mardis: plats du jour selon arrivages.
Pour les semaines qui viennent:
- 1er mars: Jean-Paul Bois: Le New Age. Ses thèmes, ses adeptes, ses relations avec l'hypermonde.
- 8 mars: Charles de Laubier: la stratégie d'AT&T (de notre envoyé spécial aux Etats-Unis).
15 mars, soirée exceptionnelle
Jean-Marie Desaintquentin: Une nouvelle donne pour l'informatique
L'auteur présentera son ouvrage, écrit avec son associé Bernard Sauteur et les évolutions intervenues depuis sa rédaction. Ces deux experts de l'évolution de l'offre des constructeurs et des SSII comme des réactions des utilisateurs nous aideront à recadrer nos perceptions du torrent d'événements technologiques et économiques qui font actuellement bouillir la planète informatique.
- 22 mars: réactions suite la première diffusion du Manifeste de l'Hypermonde.
- 29 mars: Les bienbonnes de l'hypermonde. Ou les plus tristes, selon l'humeur du jour.
- 5 avril: Eddie Soulier: Cyberpunk. Un mouvement et une sociologie qui vont plus profond que les perspectives simplement technologiques du Cyberspace.
- 12 avril: Philippe Monnin: Du silex au silicium, le passage à la société informationnelle. (à confirmer)
- 3 mai: Pierre Berger:Teilhard de Chardin et la Noosphère. Une étape vers l'hypermonde.
- 7 juin: Fred Forest, un artiste de l'immatériel (à confirmer)
- 21 juin: Assemblée générale du Club.
HYPERMONDE ET EMPLOI
De plus en plus d'articles de presse commencent à entrevoir les perspectives ouvertes par l'hypermonde au marché futur du travail. Notons par exemple:
- L'entreprise de demain: intellectuelle, non? de Charles Handy, Financial Times. Reproduit par Courrier International.
- Le nomadisme électronique, de Francine Aicovici. Dans Le Monde du 16 février 1994, dans le cadre d'un dossier "L'emploi de demain vu en rose".
Les cinquièmes "Journées universitaires parisiennes de vidéo-chirurgie et de téléchirurgie" ont bien montré les perpectives de la médiatisation des interventions.
La chirurgie s'est progressivement adaptée à l'évolution des techniques. La chirurgie traditionnelle est une chirurgie immédiate pour l'oeil et pour la main du chirurgien. On a vu apparaître des techniques médiates pour l'oeil, grâce aux optiques, aux microscopes ou aux caméras, ou pour la main. C'est l'endoscopie interventionnelle où les gestes sont effectués à travers un endoscope très à distance de la main de l'opérateur. C'est aussi le cas de la radiologie interventionnelle où le radiologue opère à travers la peau en contrôlant son geste sur des images radiologiques voire reconstruites par ordinateur comme en tomodensitométrie. La vidéo-chirurgie est l'aboutissement actuel de ces techniques puisque l'opérateur ne regarde plus ses mains mais l'écran de télévision et qu'il "opère" à l'extérieur du malade. Pour les malades, l'absence d'incision permet une diminution des douleurs post-opératoires, une récupération physique beaucoup plus rapide et un risque infectieux moindre.
Le future, c'est à l'évidence la chirurgie à distance (Thelos en grec), c'est à dire la téléchirurgie qui recouvre trois situations très différentes:
- le chirurgien n'est plus "dans" le malade,
- le chirurgien est à distance de l'opéré,
- le malade n'est plus dans la salle d'opération.
Ces nouvelles technologies vont soulever d'autres problèmes dont le moindre ne sera pas celui de la responsabilité en cas d'accident ou même en l'absence d'accident (l'aléa thérapeutique) quand on sait l'évolution des mentalités en ce domaine. Un autre problème sera celui de la relation médecin-malade.
Organisateurs: J.B. Dubuisson, J. Bouquet de Jolinière et B. Gayet. Secrétariat scientifique: Docteur Charles Chapron, service du professeur Dubuisson. Clinique universitaire Port-Royal Baudelocque, 123 boulevard de Port-Royal, 75041 Paris Cedex.
La troisième édition de la rencontre de Montpellier "Informatique, l'interface des mondes réels et virtuels" a montré à la fois les progrès de la réalité virtuelle et l'ascèse qu'elle doit s'imposer pour progresser, une fois déployés... et un peu usés, les vastes horizons ouverts à notre vue par le casque et la combinaison. Il faut faire moins cher et plus abordable. Mais, pour l'instant, les lunettes à bas prix annoncées à l'automne par des constructeurs japonais et américains n'ont pas fait leur apparition. A vrai dire, plus que de belles perspectives d'avenir, le salon traduisait surtout les pathétiques efforts d'IBM pour brader honorablement son patrimoine immobilier (rebaptisé "Parc industriel et technologique de la Pompignane" et aider son personnel à se reconvertir!
(Un coup de chapeau à la merveilleuse librairie montpelliéraine Sauramps, qui réalise chaque année un catalogue spécial pour la rencontre Informatique, d'un niveau exceptionnel en France. On ferait le voyage rien que pour elle !).
Dans cette conjoncture, les créateurs ne peuvent que ronger leur frein. Nicole Stenger ne peut finir son vaste film interactif "Angels", faute de crédits. Benjamin Britton modélise Lascaux sur PC avec quelques milliers de polygones seulement, donc bien loin d'un "rendering" poussé tel que le cinéma (Terminator II) le laisse espérer.
Quand les moyens manquent, l'imagination française trouve de nouvelles portes de sortie, de nouvelles pistes de réflexion. En témoigne le travail à la fois pratique et théorique de Virtools.
Faute de se reconvertir radicalement à l'hypermonde, notre société s'obstine à poursuivre le retour à une prospérité industrielle basée sur la matière et l'énergie, comme le montre le soutien du gouvernement au Bâtiment et à l'Automobile. Peut-être ne peut-il faire autrement, mais il faudra bien un jour constater que cette voie n'offre aucune issue réelle à moyen et long terme.
Deux ingénieurs français, Bertrand de la Chapelle et Bertrand Duplat, ont créé une société de conseil spécialisée dans les applications de la réalité virtuelle. Leur objectif: aider les entreprises à cerner leurs besoins et à trouver l'offre qui peut y répondre. Pour tester l'intérêt, la viabilité et la rentabilité d'une solution, ils recommandent la réalisation rapide de démonstrateurs "prouvant que cela sert à quelque chose".
Outre la veille technologique et l'analyse permanente des marchés et des réalisations, ils mènent une originale activité de recherche sur le développement des concepts. Ils s'intéressent en particulier aux transferts de sens entre réel et virtuel. Les dimensions de l'espace ordinaire par exemple, et les déplacements corporels dans cet espace, peuvent se transposer utilement dans d'autres dimensions relatives à un problème déterminé. Par exemple, pour concevoir ou choisir une théière, un mouvement vertical fera varier la dimensions globale, un déplacement horizontal fera changer l'importance relative des anses, un mouvement en profondeur la couleur, etc.
Autre concept: celui d'outil virtuel pour la conception de systèmes. Exemple, pour la programmation robotique, une palette de 6 mouvements permet de combiner visuellement la totalité des mouvements possibles pour un robot et de faire au moins une première modélisation de son activité sans aucune programmation proprement dite.
Virtools. 1 rue de Beauvais, 60300 Senlis. Tel. 44 53 75 43
Annie Luciani, 43 ans, ingénieur à Grenoble, rêve rien moins que d'inventer, grâce à l'ordinateur, un art nouveau, "multisensoriel". Objectif: créer de nouveaux instruments 100% virtuels dont l'artiste joue par le truchement d'un clavier. Fin du fin, ce dernier simule le toucher du violon, du piano... Déjà un concert à son actif. (Libération du 16 février 1994).
La firme Vream, de Chicago commerciale le produit du même nom pour le développement d'applications de réalité virtuelle. Le produit complet est offert pour 795 dollars. Il tourne sur 386, 486 ou Pentium, avec coprocesseur mathématique et un minimum de 10 méga-octets sur disque dur et les périphériques habituels aux machines orientées multimédia (notamment les joysticks). Pas question de lunettes. Il faut donc plutôt parler d'un outil de présentation et d'animation graphique en 3D.
Parmi les questions, voire les culpabilisations, qui affectent les partisans de l'hypermonde, se pose fréquemment celle de l'exclusion. Les outils de la réalité virtuelle coûtent cher. Et sont donc réservés aux plus riches. Leur emploi exige une haute technicité, qui en fait l'apanage des ingénieurs.
Au contraire, pensons-nous, l'hypermonde s'ouvre à tous, et bien plus que le monde traditionnel... à condition de bien prendre le mot dans sa signification d'espace de convergence des technologies de l'information. En effet le téléviseur, ou au moins le poste de radio, fixe ou baladeur, sont les plus répandus de tous les outils technologiques. Y compris chez les SDF, les travailleurs immigrés en foyer et les pays en voie de développement même sahellisés. Bien plus faciles d'accès que l'automobile et même l'eau courante, sans parler des préservatifs.
Au contraire, même. Par leur capacité à compenser les handicaps sensoriels. Par le fait qu'ils rendent moins nécessaires les capacités motrices, les véhicules de l'hypermonde font rentrer dans la sphère sociale des individus largement exclus du monde matériel classique de la production, de la consommation et de la vie sociale.
En revanche, les immenses dimensions de l'hypermonde creuseront les inégalités entre les pionniers de ses frontières avancées, les Crésus de ses fonds de données et d'images, les magnats de ses positions de pouvoir, les Napoléon de ses stratégies, les prix Nobel de ses savoirs, et les plus humbles de ses habitants. Comme toujours, les puissants s'efforceront de créer des barrières et des murailles pour assurer leurs rentes de situation. Liberté, égalité et fraternité ne s'y construiront que par la volonté des plus généreux.
L'hypermonde ne crée pas une coupure binaire entre ses citoyens et ses barbares. Mais il instaure un champ immense, a priori continu, que les chercheurs de valeurs devront méthodiquement travailler et construire s'ils entendent mettre leurs principes en pratique.
Jusqu'au 28 février, la galerie Natkin-Berta présente une exposition "multimédia" qui témoigne éloquemment des mutations psychologiques que l'hypermonde attend de nous. Elle comporte deux "oeuvres", ou si l'on préfère, deux systèmes multimédia complets.
Le projet "Météo" de Bernard Gortais, consiste à animer en temps réel un image abstraite en fonction de données météorologiques (précipitations, nébulosité, vitesse du vent, état de la mer) prélevées via Numéris à Météo France.
Chimère, réalisée par Didier Lechenne avec Frédéric Lichtenstei, renvoie le spectateur à son image. "Celui-ci, en se dirigeant vers une lumière, est surpris sur le côté par un image; mais alors qu'il est face à cette image, il se retrouve confronté à un miroir où se reflète son visage de profil. C'est le paradoxe de la désincarnation du spectateur et simultanément de l'intégration de son corps (devenu écran de cette image) qui est producteur de cette réflexivité, de cette transfiguration nécessaire à son appartenance comme élément à part entière de l'oeuvre. L'ensemble de l'oeuvre, en posant des problèmes d'image imaginale, de virtualité et d'interaction, projette un questionnement sur la viabilité d'images voyantes, d'écrans qui ne seraient plus aveugles. Les auteurs tentent de répondre, par anticipation et intuition artistique, à l'évolution scientifique".
Galerie Natkin-Berta, 124 rue Vieille du Temple, 75003 Paris. Tel. 42 74 42 16.
Benjamin Britton, qui modélise la grotte de Lascaux en réalité virtuelle pour l'université de Cincinnati, est venu exposer ses thèses au Club de l'hypermonde. Passionné par l'histoire de cette cathédrale de l'ère préhistorique, il voit dans son projet non seulement un travail artistique et historique, mais une oeuvre de portée philosophique: le fait que Lascaux ait survécu à de millénaires d'oubli laisse espérer que l'humanité survivra aux catastrophes écologiques qui l'attendent au début du prochain millénaire.
Parmi les aspects originaux du projet, Britton a prévu de disposer un endroit secret qu'il faudra découvrir. Ceux qui perceront le secret recevront un disque CD-Rom, à la préparation duquel il travaille actuellement, et dont le thème sera d'expliquer l'histoire de l'humanité, à travers des photos, des animations vidéo ou sonores.
"La réalité virtuelle" que viennent de publier Grigner Burdea et Philippe Coiffet chez Hermès est à notre connaissance la première "somme" du domaine. Au sommaire: les outils de la réalité virtuelle, retours tactiles et retour de force, architectures de calcul, modélisation, programmation en réalité virtuelle, facteurs humains (les problèmes de l'évaluation), applications, l'avenir.
Très technique sans pour autant se faire plus difficile que nécessaire (mais certains chapitres seront sautés par les amateurs, qui les laisseront aux ingénieurs), le livre approfondit l'ensemble des moyens de la réalité virtuelle: "Nous sentions le besoin de fournir plus de détails techniques (sur le matériel et le logiciel) que dans les livre disponibles sur la réalité virtuelle qui affectent un style qui est plutôt celui d'un romain. Nous souhaitions aussi introduire plus d'éléments sur les produits et la recherche européenne, auxquels les ouvrages américains prêtent assez peu d'attention".
Plus littéraire "La réalité virtuelle" d'Howard Rheingold (chez Dunod) apporte le point de vue d'un journaliste scientifique américain qui s'est spécialisé dans noter domaine.